Eclipse Episode 1: Renovatio

Publié le par gobpower

Ernest ressassait sans relâche les différentes phrases qu’il décryptait depuis maintenant une semaine ; depuis que Sandra lui avait ramené la tablette en fait ; elle l’avait trouvée lors d’une mission pour le burlingue le mois dernier :

« Je l’ai trouvée coincée entre le bureau et le mur dans la maison du médecin qui s’est fait démembrer dans le Missouri, elle avait échappé aux nettoyeurs, et vu que je passais par Paris, je me suis dit que ça t’intéresserais…

-Comme c’est émouvant, tu me ramène des souvenirs, maintenant ; je fais tant pitié que ça ?

- Lâche un peu de mou Ern, c’est pas ma faute si t’as été affecté aux recherches après le Népal.

-Je suis le meilleur Tarelier de la section France et on me colle le cul sur une putain de chaise à Paris !

-Une putain de chaise en 100% cuir avec masseurs, et un bureau dont la verrière donne sur le champ de mars, ils ne se sont pas trop foutu de ta gueule, t’en conviendra…

-Oui bon, n’empêche que mes cartes me manquent, et le terrain aussi.

-Laisses leur le temps de digérer ton… breakdown.

-Breakdown ? Qu’ils le digèrent eux ? Je voudrais bien les voir ! Coincés depuis trois putain de jours sur l’Annapurna, les guides retrouvés égorgés comme des porcs, les vivres qui puaient le moisi et ce truc qui nous harcelait toutes les nuits ! Les cris de dieu-sait-quoi, les traces dans la neige ! Et cette putain de tempête qui n’en finissait pas ! Qu’ils le digèrent, eux ? Ils ne se tortillent pas les méninges toute la sainte journée à se demander pourquoi ce… ce truc t’as laissé en vie alors qu’il a équarri tout tes potes !

-Relax Ern, c’est fini tout ça. Et si je t’ai amené cette tablette, c’est parce que je sais que tu sauras quoi en faire, et parce que t’es le meilleur, et… et parce que ça me donnait une excuse pour passer te voir à Paris. »

Sur le ton qu’elle prenait Ernest se calmait. Il y a des siècles lui semblait-il, douze ans en fait, ils étaient heureux, avaient planifié le mariage. Ils avaient des dons tout les deux, ils le savaient, c’est sans doute ce qui a attiré les goules à la cérémonie (quelle idée de la faire en pleine forêt). Deux survivants, récupérés par le Bureau, in extremis. Maintenant, l’attachement durable, la stabilité leur paraissait plus impossible que l’existence des fées et des dragons ; mais ils se gardaient parfois quelques instants de tendresse… Malgré lui, Ernest se souvenait du Népal, il se souvenait de José, un palestinien à moitié frappé, qui faisait partie du Bureau depuis plus de neuf ans, il se souvenait de son air jovial à Lamjung, au pied des montagnes, avec son accent à couper au couteau « le bureau, c’est ta nouvelle femme, son vagin, c’est ta main droite » sur quoi il était parti de son rire fantastique, ce à quoi Ernest avait répondu « je suis gaucher ».



Ils étaient ensuite partis au restaurant, au théâtre et avaient fait l’amour dans le loft d’Ernest. Elle repartait le lendemain, pour l’Inde.

Une semaine complète à essayer de traduire cette tablette, dont l’écriture cunéiforme faisait d’abord penser à du mésopotamien, mais après quelques heures, il dut se rendre à l’évidence : c’était bien plus compliqué que cela.

Après une datation au carbone 14, Ernest était persuadé d’avoir à faire au paranormal : les résultats indiquaient 4 500 ans environ, mais la tablette était trop bien conservée pour cet âge. La période d’écriture présumée serait donc la période d’Akkad, où les cités état furent unifiées, ce qui expliquerait un dialecte composite. Il mélangeait l’akkadien, le sumérien et le Mésopotamien ; sur certains passages, il fit même appel au grec.

En définitive, il se retrouvait avec un mélange entre une litanie et une geste épique, vouées aux dieux Enki, dieu le l’abîme, ainsi qu’Ereshkigal et Nergal, le couple régnant sur les Enfers.

« une oraison sataniste, en somme… on va éviter de faire comme dans les films débiles où le savant con se sent obligé de lire le tout à haute voix… essayons d’en faire une traduction cohérente. Ah ! Sandra sera fière de moi. Je vais devoir demander le financement pour un voyage en Irak afin de faire plus de recherches sur le terrain…

-Je ne pense pas que le bureau vous le permettra tout de suite monsieur. »

Alec Weinarp était le nouvel assistant de d’Ernest, que le bureau lui avait demandé de former ; à peine huit mois d’ancienneté, la seule chose qu’il avait vraiment vu, c’est l’ectoplasme de sa mère, vous parlez d’un guerrier…

« Ils me permettront ce que j’veux, bordel ! C’est fini le Népal, j’ai pas survécu pour que d’chi ! J’ai mes atouts, je m’en suis collectionné une palanquée pendant ces dix derniers mois, et mes doigts me démangent ! Je suis plus un racleur de couches ! J’ai pas envie de pourrir dans cet hôtel parce que le burlingue ne me juge pas apte ! Tu m’entends Alec ? Ils m’ont demandé de te former, et bien je vais te former, je suis un gars du terrain, moi, pas un traîne plume !

-Mais vous parlez une quarantaine de langue, mortes pour la plupart, vous êtes indispensables à la section recherche !

-T’en parlerais autant si t’avais bu dans cette foutue corne en Islande, qu’est ce que j’y peux, moi si elle était magique, je voulais juste jouer au con. Je m’en souviens encore, tiens remplir la corne de bourbon, la lever et beugler « A Odin ! » en se l’enfilant dans l’hilarité générale.

-Vous avez gardé la corne ?

-Elle est tombé en poussière après que je me sois évanoui; bon écoute ptit gars, je sais que tu es surtout là pour me surveiller pour le burlingue, nan, prends pas cet air étonné, t’es nul comme acteur, alors tu vas rédiger un gentil petit rapport comme quoi j’ai repris du poil de la bête, et que de récentes découvertes te font penser qu’on devrait partir tout les deux en Irak, sur les ruines akkadiennes.

-Mais... Mais monsieur, je ne suis pas un … gars du terrain, moi, je suis un … un traîne plume comme vous dites !

-Ben alors t’as intérêt à t’en planter une dans le cul si veux suivre mon rythme, parce que si tu veux réussir dans la vie, il faut aller au devant ! il faut rester surnaturel, pas sous-naturel !

-Mon seul pouvoir est de voir les esprits…

-T’apprendras à t’en servir pour d’autres trucs!

-Arrêtez de rassembler vos affaires ! je ne suis pas taillé pour le terrain !

-c’est en forgeant qu’on devient forgeron ! tu vas devenir un petit athlète gamin !

-Mais enfin, je ne veux pas !

Ernest se retourna alors vers Alec, qui ressemblait à un jeune gamin malgré ses vingt-sept ans, et lui susurra d’un air mauvais :

-J’ai besoin de ton appuis auprès du burlingue, je l’aurais que tu le veuille ou non, tu sais ce qu’on peut faire avec quelques têtes et atouts bien placés lorsqu’on a –comme moi– de bonnes connaissances en démonologie ?

- … Irak ? Qu’est ce que je dois amener d’après vous ? »


Nouvelle de Pierre Sagory tous droits réservés

Publié dans Eclipse

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